Imaginons Ubraye il y a cent ans :
il y avait alors 330 habitants (selon le recensement de 1911) : 140 femmes et 190 hommes, dont 120 hommes âgés de 19 à 45 ans, qui ont dû répondre à l’ordre de mobilisation générale du 1er août 1914. Comment se répartissaient ces 120 futurs combattants ? 90 d’entre eux habitaient la commune d’Ubraye et représentaient quasiment 100% de la population masculine âgée de 20 à 40 ans. Les 30 autres avaient émigré hors de la commune d’Ubraye, dans la foulée de l’exode rural qui s’était déclenché dans la deuxième moitié du XXème siècle, du fait de la surpopulation : 60% étaient partis dans le Var (parfois très jeunes, avec leurs parents, après leur naissance à Ubraye), 30% s’étaient éparpillés dans les Alpes-de-Haute-Provence et les 10% restant dans les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes et le reste de la France...
Le mois d’août 1914, en Provence, avait débuté par une journée très estivale, puis le temps s’était dégradé pour rester pluvieux pendant une dizaine de jours. Chaque combattant partait, le cœur léger et avec la certitude de revenir très vite dans ses foyers, après une guerre que tous, croyaient “facile». De fait, durant ces tous premiers jours d’août, certains d’entre eux rentraient – sans avoir pu avertir quiconque – en attendant une affectation définitive, car les soldats ne pouvaient pas tous être répartis efficacement en si peu de temps. Situation trompeuse, car le 22 août 1914,la France allait vivre les heures les plus sanglantes de ce début de guerre : 27.000 soldats seront tués en une seule journée !
La première perte enregistrée parmi les combattants d’Ubraye aura été celle d’ Emile Alfred MICHEL, âgé de 24 ans. Il tomba, durant ces journées terribles, sous la puissance de feu allemande, le 23 août 1914 dans les Vosges, à Saint-Laurent. Il sera suivi le 1er septembre par Joseph Henri RICHAUD, 21 ans, toujours dans les Vosges, à Saint-Benoît, puis, le 15 septembre, par Clément Adrien PELLAT,21 ans également, et le 20 septembre par Paul BARNEAUD à Lunéville,22ans...
La machine infernale ne s’arrêtera plus pendant quatre ans. Chaque mois, au moins une nouvelle tragique va parvenir aux familles : un décès, un disparu, un blessé, un prisonnier (certains sont restés prisonniers pendant toute la guerre). Le maire d’Ubraye de l’époque, Ferdinand TRABAUD, avait une tâche bien difficile à accomplir, à Ubraye au village-chef-lieu, ou dans tous les hameaux : à Laval, au Touyet, à Jaussiers ou à Rouainette. On savait que les enfants d’Ubraye se battaient avec bravoure, car les médailles l’attestaient, mais les bilans, tragiques, semblaient ne jamais devoir s’arrêter.
Le “dernier” mort d’Ubraye “tué à l’ennemi” – mais on ignorait alors qu’il serait le dernier – tombera le 10 octobre 1918 à Bazancourt dans la Marne : Victorin Joseph TRABAUD, berger d’Ubraye, était âgé d’à peine 20 ans. Il avait été incorporé, avant l’heure, le 3 mai 1917,à 19 ans, ”comme jeune soldat de la classe 1918” (selon la formulation de son livret militaire).
Et même après le 11 novembre 1918 – qui déclencha la plus grande émotion collective que la France ait jamais connue – Ubraye devra encore pleurer une victime supplémentaire : Marius Adolphe PELLAT,19 ans, qui s’éteindra à l’hôpital militaire de Fontainebleau,le 5 février 1919,”des suites d’une maladie contractée dans les tranchées”.
Au total, 18 combattants d’Ubraye (dont 10 âgés de moins de 25 ans) tomberont au champ d’honneur.
Le taux des victimes par rapport au nombre total d’hommes a été en moyenne de 7,6 à 8,7% dans les Alpes-de-Haute-Provence, certains parlent même de 9% (à rapprocher d’un taux de 5% dans le Var et les Alpes-Maritimes). A Ubraye même, le pourcentage a atteint 9,5%. Il ne s’agit là que du pourcentage par rapport aux hommes (de tous âges) recensés en 1911 à Ubraye, car d’autres chiffres “parlent” d’avantage encore : 40% des “combattants” de la commune d’Ubraye ont été, soit tués (18), soit blessés (26), soit faits prisonniers (4). Un peu moins de un sur deux a donc vu sa vie fauchée ou très fortement impactée.
Parmi les blessés ( paralysé, gazé, amputé…ou autres gravement handicapés on peut citer : à Ubraye et Laval : Alexandre MARTIN, Emile MICHEL, jules SAUVAIRE, un dénommé PELAT de Laval, au Touyet MM Alphonse MICHEL, Baptistin SAUVAIRE , Ernest MICHEL, Hubert MICHEL, un dénommé BRUN.
Parallèlement à ce tableau des pertes et des blessés, il faut souligner le bilan militaire et héroïque exemplaire des 120 combattants issus de la commune d’Ubraye pendant la guerre de 1914-1918. Près de 30% d’entre eux (parmi lesquels, parfois des victimes) ont été distingués par des citations, des croix de guerre ou des médailles militaires : 21 citations à l’ordre de l’armée, 9 croix de guerre, 4 médailles militaires. L’héroïsme des “poilus” d’Ubraye ne peut qu’être salué et souligné car la modestie et l’extrême réserve dont ils faisaient preuve à leur retour (la plupart des “poilus”, refusaient généralement de parler de ce qu’ils avaient vécu) a pu faire oublier pendant des années le niveau de leur courage et l’intensité de leurs souffrances.
Nous devons en tant que citoyen de la Commune d’Ubraye, être fier de notre passé, fier de ces hommes, soldats , combattants, victimes, martyres, mais aussi fiers de toutes ces femmes (épouse, sœur, mère , grand-mère parfois) qui ont dû, pendant ces longues et douloureuses années, mais aussi quelquefois après, assumer avec courage et abnégation la lourde tâche d’élever et de faire vivre une famille, dans des conditions extrêmement difficiles. Toutes méritent notre reconnaissance et à ce titre aujourd’hui je tiens à les associer à cette commémoration et leur rendre un hommage appuyé, car à leur manière , elles ont aussi contribué à la victoire.
C’est bien grâce à eux, Hommes, Femmes, animaux parfois, à leur sacrifice que nous vivons aujourd’hui dans un pays libre.